Tribune parue le 12 juin 2020 dans Les Echos (lien)
La finance est attendue au tournant. Douze ans après la crise des subprimes, sa cote de confiance est à l’étiage. Les pouvoirs publics ont cherché à réconcilier la finance avec les Français. En janvier 2016, le gouvernement lance les labels ISR et TEEC, gages de confiance et de crédibilité. Le but est de promouvoir l’investissement socialement responsable (ISR). Il sera délivré par des organismes d’accréditation comme l’Association française de normalisation (Afnor).
Le Label ISR se spécialise sur les fonds investis en valeurs mobilières cotées (de très grandes entreprises) et le label TEEC (devenu Greenfin ) sur la finance verte et la transition énergétique. Si le Label ISR ne retient aucune exclusion, le label Greenfin exclut le secteur nucléaire et les énergies fossiles.
Le compte n'y est pas
Quatre ans après, où en sommes nous ? Les fonds ISR devaient permettre d’obtenir une contribution concrète et mesurable au développement durable. Nos analyses montrent que la confusion règne. Le Label ISR n’a pas su imposer de normalisation des critères et de la mesure des impacts. Ce résultat tranche avec les avancées permises par l’article 173 de la loi de Transition énergétique qui a conduit à une large adoption de l’empreinte carbone. Les investisseurs institutionnels se sont accordés sur cet indicateur simple et accessible, sans que la loi ne l’impose.
Le nombre de fonds a fortement progressé : 395 sont labellisés ISR représentant 150 milliards d’euros d’encours proposés par 69 sociétés de gestion. 43 fonds sont labellisés Greenfin pour 13 milliards d'euros d’actifs. En France, la gestion collective pèse 2.000 milliards d’euros avec 10.000 fonds ouverts au public, proposés par 657 sociétés de gestion ( source AFG ). Le compte n’y est pas. A ce rythme, il faudrait encore des années pour convertir une large proportion de la gestion collective à l’ISR. C’est urgent car comme le déclarait Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, fin novembre 2019, «nous sommes en train de prendre du retard dans la lutte pour le changement climatique».
Le point de bascule est pourtant proche. Les institutionnels se sont déjà portés fortement acheteurs d’ETF (exchange traded funds) ISR au premier trimestre 2020. L’Autorité des marchés financiers (AMF) anticipe la prochaine hausse de la collecte en provenance des particuliers. En mars, l’AMF a publié une doctrine où elle souhaite «assurer une communication proportionnée entre la pratique de l’ISR et l’information des investisseurs. Des objectifs mesurables et significatifs seront demandés aux gestionnaires dans le but de prévenir le risque de "greenwashing"».
Tenter de nouvelles approches
Il est urgent de libérer la finance responsable, de laisser les opérateurs tenter de nouvelles approches. Le cahier des charges du Label ISR repose trop sur la notation ESG, utilisée depuis 20 ans. Mais cette méthode est devenue inadaptée dans une perspective climat. Le climat impose sa loi quantitative (baisser les émissions) quand l’ESG reste qualitatif. La donnée carbone est universelle (avec un consensus mondial depuis les Accords de Paris), là où l’ESG est sujet à des biais culturels qui ralentissent sa diffusion. Il est anachronique d’imposer la notation ESG, faite de plusieurs centaines de critères, qu’une entreprise ne pourrait utiliser pour gérer son développement ou motiver ses salariés. L’empreinte carbone le permet.
Le Label ISR aboutit à des résultats étonnants : un gestionnaire qui choisit la technique (très exigeante) du dialogue ne peut être labellisé car il n’utilise pas la notation ESG et n’exclut pas au moins 20% de son univers de gestion. Ce dialogue est pourtant un mode puissant d’influence sur les dirigeants. La Coalition Climate Action 100+ a réussi à imposer des engagements climatiques à Shell que la notation ESG n’avait pas arraché en 30 ans.
Il convient d’instaurer une obligation de publication de l’empreinte carbone pour les 10.000 fonds de placement français. Elle serait accessible sur un comparateur internet gratuit. Cette large publicité ferait plus pour la finance et le climat que tout ce qui a été obtenu par la notation ESG jusqu’à présent. Pour améliorer leur empreinte, les gérants noueront un dialogue avec les entreprises pour les inciter à réduire fortement leurs émissions de carbone ou, à défaut, s’en écarteront. Cela amènerait les sociétés à changer radicalement de process de production sous peine de voir disparaître leur base actionnariale et leur financement obligataire. L’ISR pourrait alors être le levier de changement qu’il aurait toujours dû être. Les entreprises responsables et durables protègeront l’épargne des particuliers, les autres la détruiront. En matière de lutte pour le climat, le temps de la sincérité et de la transparence est venu.
Vincent Auriac est président de Axylia.
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