Plusieurs articles de presse titraient récemment sur des dons "en berne", "en chute libre". Le 9 janvier, Le Monde titrait lui sur une "chute historique des dons". La baisse est-elle certaine ? Quel sera le montant des dons en 2018 ? C'est l'occasion de faire le point sur les multiples facettes d'une générosité finalement méconnue des Français eux-mêmes.
Une fin d'année capitale
Le saviez vous ? Novembre et décembre représentent un tiers des dons reçus par les plus grandes associations faisant appel public aux dons. Cela tient à la réduction d'impôt sur le revenu (IR) associé au don qui s'éteint au 31 décembre de l'année en cours. Les besoins sont importants toute l'année mais, le calendrier fiscal concentre les flux de dons en toute fin d'année.
La réduction d'impôt est très incitative : elle réduit l'effort du donateur de 66% voire 75%, laissant 34€ ou 25€ à la charge du donateur, pour 100€ donnés. La perspective du prélèvement à la source de janvier 2019 a créé de l'incertitude chez les donateurs. Il y a quelques semaines, les associations ont pu l'expliquer par des campagnes de mailing ou de e-mailing et rassurer les donateurs. Compte tenu de la saisonnalité des dons, il est délicat de partir de chiffres à fin juin pour en tirer les chiffres sur l'ensemble de l'année. La baisse des dons pourrait être au final plus faible pour l'ensemble de 2018 que crainte à mi-parcours.
La dimension fiscale tenait aussi à la possibilité dont bénéficiaient les redevables de l'ISF de payer ce dernier (dispositif dit TEPA ISF depuis 2008) en en déduisant 75% du montant de leurs dons. Un don de 10 000 € à un organisme habilité permettait de se libérer du paiement d'un ISF de 7 500 €. Ce dispositif avait rapporté la somme de 250 M€ en 2017, essentiellement à des fondations. La suppression de l'ISF au profit de l'IFI a entraîné la disparition de 130 à 150 M€. Nous retiendrons le chiffre de 140 M€.
Le nombre de donateurs particuliers en baisse
Le montant total des dons déduits de l’IR était au total de 2,62 milliards d’euros en 2015. Ces dons ont été déclarés par 5,7 millions de foyers, soit environ 15% des foyers fiscaux imposés ou non. On observe une baisse tendancielle du nombre de donateurs depuis plusieurs années comme l'indique la dernière étude annuelle de France Générosité.
Des formes de dons très diverses
Un récent travail mené par Daniel Bruneau, un grand connaisseur du secteur associatif, mérite une large information. Il a recensé (presque) toutes les formes de dons. Il a ainsi pu établir que les 2,6 Md € de dons ouvrant droit à une réduction d'impôt ne représentent que 35% de la générosité en France, particuliers et entreprises confondus. En 2015, la générosité se montait ainsi à plus de 7,5 Md€ soit 3 fois les chiffres qui focalisent l'attention des médias :
Les particuliers sont les plus gros donateurs avec 4,575 Md€ (61%). Les formes nouvelles de dons, notamment digitales (arrondi en caisse, sur salaire, sur borne interactive,...) progressent très vite mais partent de bases très faibles. Ainsi, l'arrondi sur salaire a collecté 762 500€ (14 200 salariés donateurs avec un don moyen de 2,52€). L'arrondi en caisse a permis de collecter depuis ses débuts plus de 6,6 M€ dont 2,5 M€ en 2017 et 1,5M€ en 2016.
Le rapport sur les générosités conclut en indiquant que "le chiffrage global est largement supérieur aux estimations qui circulaient jusqu’ici, bien qu’il soit encore certainement en-deçà de la réalité". Le rapport indique que "la générosité ne connaît pas de crise et que tous les segments connaissent une progression que bien d’autres acteurs économiques pourraient envier".
La bonne santé du mécénat d'entreprise.
Le traitement par les médias peut laisser penser que la générosité se limite aux dons des particuliers. Si ces derniers sont majoritaires (61%), les entreprises donnent également, cela a un nom : le mécénat. Il s'exprime là encore de plusieurs façons : des dons classiques en argent mais aussi en nature et en compétences (des salariés donnent de leur temps à des associations).
Beaucoup d'associations ont privilégié le don des particuliers : 5,7 millions de foyers fiscaux donnent (sur un total de 37,9 millions de foyers) contre seulement 82 000 entreprises (en 2017, source Admical) sur un total de 3,4 millions d'entreprises en France. 15% des foyers fiscaux donnent contre seulement 2,4% des entreprises. Le potentiel du mécénat est très conséquent : le don moyen d'un particulier est de 497 € par foyer fiscal contre 23 000 € pour une entreprise (1 670 € pour les TPE/MIC, les plus nombreuses). La massification du mécénat est à construire, le coeur des entreprises est à conquérir : il s'ouvre à l'unisson du développement de la responsabilité sociale d'entreprise (RSE).
Quel montant de dons en 2018 ?
Sur la base du repli de 6,5 % au premier semestre 2018, le syndicat France générosités entrevoit une baisse de 10 % sur l’ensemble de l’année soit -260 M€ à 2,34 Mds €. Sur cette somme, 140 M € proviennent de la disparition de l'ISF. Les autres dons vont ils baisser de 120 M€ ? Rien n'est moins sûr. Les dons des particuliers (2,59 Mds € en 2017) augmentent de 3,8% en tendance depuis 2013. Ils pourraient donc atteindre 2,69 Mds € (+100 M€). Si on retranche les 140 M € "ISF", le repli serait limité à 40 M €. Par ailleurs, le mécénat d'entreprise (1,7 Mds €) augmente de 10% en tendance depuis 2010 ; en 2018, il franchira probablement la barre des 2 Mds €, en progression de 190 M€. Le mécénat fera plus que compenser le recul des "dons ISF". Plus largement, aucun outil n'existe pour établir l'évolution de la générosité sur son périmètre complet de 7,5 Mds €. Il reste un constat indiscutable : la disparition de l'ISF provoque une vaste redistribution des cartes avec des perdants et des gagnants ; parmi ces derniers, les associations et fondations qui auront fait le choix du mécénat.
En résumé
La transparence progresse et permet désormais de se faire une idée globale de la générosité en France : le chiffre à avoir en tête est 7,5 Mds € et non 2,6 Mds €. Ce spectre plus large pourrait laisser s'installer l'idée que les gestes des particuliers ne sont plus nécessaires. Ce n'est évidemment pas le cas. A l'inverse, en ces temps de pouvoir d'achat contraint, ne pas prendre de recul pourrait bien saturer la base historique des donateurs, pour laquelle l'optimum de sollicitation a peut être déjà été dépassé. Dans une perspective historique, la nouvelle frontière de la générosité emmènerait vers les entreprises. Une nouvelle générationd'entreprises altruistes, soutenue par Axylia, partage la valeur économique. Le temps est également venu pour un accès aisé en ligne et largement médiatisé d'un Observatoire de toutes les Générosités (numéraire, nature, compétences, legs), des particuliers comme des entreprises.
Quatre études pour aller plus loin :
1. https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/rapport_generosite4.pdf
2. http://www.francegenerosites.org/wp-content/uploads/2018/11/Etude-sur-la-générosité-Recherches-et-solidarités-26-novembre-2018.pdf
3. http://www.francegenerosites.org/wp-content/uploads/2018/11/Etude-Daniel-Bruneau-Nov-2018.pdf
4.http://admical.org/sites/default/files/uploads/basedocu/etude_mecenat_dentreprise_en_france_2018_vf.pdf
5. https://www.ccomptes.fr/system/files/2018-11/20181128-rapport-soutien-public-mecenat-entreprises.pdf
Vincent Auriac
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